Présenté comme l’un des secteurs les plus gangrenés par la corruption, le foncier fait l’objet d’un recentrage des procédures au Cameroun. Une réforme introduite par le gouvernement entend prévenir les accaparements et litiges récurrents.
Les litiges fonciers ont été la principale source de dénonciations en 2023, selon le rapport annuel de la Commission nationale anti-corruption (Conac). Dans une lettre-circulaire datée du 2 avril 2025, le ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf), Henri Eyebe Ayissi, réorganise le processus d’immatriculation des terres en impliquant davantage les chefs traditionnels. Cette correspondance institue une « lettre de non-objection ».
Le texte du Mindcaf entre en vigueur dès le 1er juillet 2025. Celui-ci précise que l’approbation des chefs traditionnels de premier et de deuxième degré est désormais indispensable pour la « validation des dossiers de demande d’immatriculation directe ou de concession par un particulier, une collectivité ou une communauté sur des dépendances du domaine national concernant des superficies spécifiques ou cumulées égales ou supérieures à 20 hectares, au niveau du délégué départemental » du Mindcaf.
À travers cette décision, l’État entend résoudre quatre problématiques majeures. Premièrement, l’implication incontournable des chefs traditionnels vise à prévenir l’accaparement des terres et la spoliation des communautés familiales. À cet effet, une autorité administrative contactée par EcoMatin confirme que « depuis un certain temps, les gens allaient dans les villages accaparer les terres des populations. Ils immatriculaient soit au profit des chefs de communautés, soit alors au profit des tiers moyennant des sommes d’argent qui n’étaient même redistribuées aux populations. Finalement, c’étaient toujours les problèmes à n’en point finir. Le ministre a peut-être estimé que, pour mieux contrôler ces affaires, il faut impliquer les chefs traditionnels au premier rang », précise notre source ayant requis l’anonymat.
L’autre raison qui motive l’arrêté ministériel susmentionné, c’est le souci de prévenir les litiges fonciers. À en croire le rapport 2023 de la Commission nationale anti-corruption (Conac), le secteur des Affaires foncières a fait l’objet du plus grand nombre de dénonciations reçues par voie de courrier administratif par le bras séculier de l’État en matière de lutte contre la corruption. En effet, ce domaine a enregistré 698 dénonciations (sur un total de 3 272), dont 428 portant sur les litiges fonciers. Sous ce rapport, Henri Eyebe Ayissi estime que la nouvelle procédure est un moyen de renforcer la sécurité juridique et psychologique des futurs titulaires de droits fonciers sur le domaine national. En dernier ressort, le Mindcaf inscrit la « lettre de non-objection » dans la logique de la promotion d’une gouvernance foncière responsable, qui ambitionne de faire du domaine national un levier important pour la réalisation d’activités génératrices de revenus au profit des populations riveraines.
Cette initiative du Mindcaf intervient à la suite de nombreux scandales fonciers déplorés dans plusieurs coins du pays, et surtout quatre mois après que le président de la République, Paul Biya, a remis en question la gestion foncière. « Améliorer la gouvernance, c’est aussi amplifier la lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics. C’est garantir une sécurité juridique aux investissements privés. C’est assurer la protection de la propriété foncière, où certaines dérives ont été constatées », a-t-il déploré dans son adresse à la Nation le 31 décembre 2024.