Alors que le français Globeleq, producteur indépendant qui gère les centrales à gaz de Kribi et à fuel de Douala maintient ses ouvrages hors service depuis 5 mois, privant ainsi le pays de 300 Mw de capacités, la production au niveau des barrages hydroélectriques de Memve’ele, Songloulou et Edea, en chute libre, provoque un effondrement de l’offre dans le réseau interconnecté Sud qui couvre 7 régions du Cameroun sur 10. Le gouvernement prépare les ménages et les entreprises à un étiage dantesque, sous l’effet des changements climatiques.
Le ministre de l’Eau et de l’Energie (Minee), Gaston Eloundou Essomba, a effectué une sortie ce 14 janvier pour expliquer l’origine des perturbations qui rendent catastrophique le service électrique dans l’ensemble des 7 régions desservies par le Réseau interconnecté Sud (Ris), pratiquement depuis la seconde moitié du mois de décembre. Il fait savoir, via un communiqué, que cette situation est due à une combinaison de facteurs, notamment une baisse de production de l’ordre de 70 mégawatts (Mw) dans les centrales hydroélectriques de Songloulou et d’Edéa, ainsi que l’arrêt de production par le producteur indépendant Globeleq des centrales à gaz de Kribi et à fuel de Dibamba (Douala), qui prive le système de 300 Mw d’électricité depuis septembre 2024. Ce dernier réclame au distributeur Eneo environ 8 milliards de Fcfa d’impayés et conditionne le redémarrage de ses groupes au paiement de cette dette. Selon le Minee, la baisse de production dans les centrales hydroélectriques est causée par le faible remplissage des barrages réservoirs pendant la dernière saison des pluies de 2024.
En clair, le barrage de retenue d’eau de Lom-Pangar, à l’Est, qui a été construit en amont pour régulariser le débit du fleuve Sanaga sur lequel sont construits les centrales de Songloulou, Edea et Nachtigal depuis un moment, n’a pas atteint ses objectifs en termes de remplissage pendant toute la dernière période de crues. Le ministre de l’Eau et de l’Energie souligne d’ailleurs que la faible pluviométrie observée au cours des derniers mois a entraîné un déficit hydrologique de plus de 2 milliards de mètres cubes par rapport à l’année 2023. Par ailleurs, le débit interannuel communément observé pendant la période d’étiage, qui contribue à renflouer le volume d’eau dans les barrages, affiche une baisse inédite de 50%. Comme pour ne rien arranger, la centrale hydroélectrique de Memve’ele qui a été mise en service il y a à peine quelques années, a vu sa production s’effondrer de plus de 200 Mw avant « l’étiage particulièrement sévère » en cours à 35 Mw. Il faut dire que cet ouvrage dont la capacité installée tourne autour de 211 Mw et dont le coût de l’investissement atteint presque 450 milliards de Fcfa ne dispose pas d’une retenue d’eau en amont. Et dans ces conditions, il a très peu de chance de produire à son optimum, même en temps de crues.
Nachtigal
En effet, la situation en cours entraîne le système électrique du Réseau interconnecté Sud vers l’effondrement, d’autant qu’avant cette nouvelle crise, le déficit énergétique sur ledit réseau oscillait déjà entre 100 et 140 Mw. Si le gouvernement dit tout mettre en œuvre pour garantir un retour à la normale dans les meilleurs délais, cette perspective repose, outre le redémarrage des centrales à gaz de Kribi et à fuel de la Dibamba synonyme d’injection de 300 Mw dans le réseau, sur l’amélioration de l’hydrologie avec le retour espéré des pluies d’ici fin mars. Or, d’ici là, la sécheresse sera à son comble. Les prochaines semaines et mois s’annoncent donc dantesques. La situation est d’autant plus préoccupante que les conditions ne semblent pas réunies pour la mise en service à court terme du barrage hydroélectrique de Nachtigal, d’une capacité installée de 420 Mw. Dans son discours de fin d’année, le 31 décembre dernier, le président de la République, Paul Biya, a pourtant assuré que c’était une question de jours ou de semaines. Nachtigal Hydro Power Company (NHPC), la société de projet qui a réalisé cette infrastructure dans le cadre d’un partenariat public-privé avait défini un calendrier qui prévoyait l’injection de 60 Mw de nouvelles capacités sur le réseau chaque mois à partir de juin 2024, jusqu’à la mise en service totale en janvier 2025.
Mesures ponctuelles
Mais, faute d’un réseau de transport adapté, cette échéance ne peut être respectée. Des sources proches du dossier évoquent même d’autres contraintes qui retardent la mise en œuvre de ce calendrier, sans entrer en détail sur leur nature. Autre ouvrage de construction récente, le barrage hydroélectrique de Mekin, dans le Dja et Lobo (Sud), d’une capacité de 15 Mw, est hors service depuis au moins un an. Entre autres mesures ponctuelles prises pour atténuer la crise en cours, Gaston Eloundou Essomba instruit « l’optimisation des centrales de production existantes, en sollicitant la mise à disposition de leurs pleines capacités, le renforcement de l’approvisionnement en combustible des centrales thermiques, ainsi que la mise à contribution des industries pour réaménager leur consommation ». Le ministre demande en effet aux industries de réaménager leur plage de consommation, voire de s’effacer du réseau au profit des ménages pendant les périodes de forte demande en activant leurs dispositifs d’alimentation alternatifs, notamment les groupes électrogènes.
Cette demande qui revient chaque fois à cette période de l’année peine toujours à trouver grâce auprès des industries, en raison du prix élevé des combustibles destinés à faire tourner les générateurs, surtout qu’elles ne sont pas souvent autorisées à répercuter les surcoûts liés aux énergies thermiques sur les prix des produits finaux aux ménages. Du reste, Eloundou Essomba assure que sous la houlette du gouvernement, les négociations se poursuivent en vue du règlement de la dette du distributeur Eneo envers ses fournisseurs, dont les sociétés KPDC et DPDC qui exploitent les centrales à gaz de Kribi et à fuel de Dibamba.