Avocate au barreau du Cameroun, de Paris et de New-York, Lucie DZONGANG, experte des questions minières, relève les enjeux liés aux normes et à la conformité dans le secteur minier camerounais.
Co-organisatrice d’un déjeuner débat le 15 mai à Douala, Lucie DZONGANG, insiste sur les attentes des organismes en matière de gouvernance et les mécanismes de contrôle pour prévenir la corruption et les abus.
C’est quoi la conformité, la gouvernance et la transparence dans le secteur minier ?
Au-delà du respect de l’ensemble des lois, règlements et normes applicables par les acteurs d’un secteur, le terme « conformité » ou « compliance » implique également l’ensemble des outils mis en œuvre à titre préventif pour prévenir des risques auxquels on pourrait s’exposer en cas de non-respect de ces règles. Dans le cadre du secteur minier camerounais, cela inclut par exemple le respect du Code minier camerounais, des normes environnementales et sociales, ainsi que des engagements internationaux (comme l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), les normes de l’OCDE ou certains standards ISO).
La gouvernance renvoie aux mécanismes de direction, de contrôle et de gestion responsable du secteur minier. Une bonne gouvernance assure que les décisions des entreprises et de l’État sont prises de manière transparente, éthique et participative, dans l’intérêt général.
Enfin, le terme transparence ne requiert aucune définition particulière, cela implique notamment la publication et le libre accès aux informations clés (permis octroyés, revenus, contrats, actionnariat) afin de garantir la redevabilité. Par exemple, l’ITIE veille à ce que les ressources naturelles soient exploitées de façon ouverte et au bénéfice des citoyens.
Quels sont les principaux enjeux liés aux normes et conformité dans le secteur minier camerounais ?
Au Cameroun, plusieurs défis entravent la conformité aux normes minières. D’abord, le cadre légal a longtemps souffert de lacunes : la mise en œuvre de la loi minière de 2016 est restée incomplète faute de décrets d’application, bien que ce code ait intégré des principes anticorruption (ITIE, Processus de Kimberley) et des obligations de divulgation. Le nouveau Code minier adopté en 2023 vise justement à combler ces failles. Ensuite, l’applicabilité des normes est insuffisante sur le terrain, encore faut-il qu’elles soient effectivement mises en œuvre. Cela suppose notamment que les autorités compétentes puissent disposer de pouvoir et de moyens adéquats.
Or, à ce jour, les autorités camerounaises manquent notamment de moyens pour contrôler toutes les exploitations, qui sont encore majoritairement artisanales. Des pratiques illégales persistent (par exemple l’utilisation du mercure dans l’orpaillage malgré son interdiction en 2019).
La corruption et l’opacité dans l’attribution des licences et la gestion des revenus demeurent également préoccupantes – le Cameroun est classé 140/180 par l’indice de perception de la corruption par Transparency International et a récemment été suspendu par l’ITIE pour n’avoir pas pleinement respecté certaines exigences de transparence et de gouvernance.
Enfin, les entreprises camerounaises doivent s’adapter à des normes internationales de plus en plus exigeantes (environnement, droits humains, anti-corruption), ce qui requiert des capacités accrues en matière de conformité.
Et pour quelles attentes en matière de gouvernance du secteur minier ?
Les attentes internationales vis-à-vis de la gouvernance minière portent sur davantage de transparence, d’éthique et de durabilité. D’une part, des initiatives globales comme l’ITIE demandent la divulgation de toutes les informations clés (paiements à l’État, contrats miniers, bénéficiaires effectifs), afin de lutter contre la corruption et d’assurer une gestion équitable des ressources.
D’autre part, les grandes puissances renforcent leurs exigences en responsabilité sociétale : l’Union européenne a par exemple adopté en 2024 une directive de « due diligence » (CS3D) qui oblige les entreprises à prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans toute leur chaîne de valeur. De même, la directive CSRD impose aux sociétés de publier des rapports de durabilité transparents. Parallèlement, les législations anti-corruption extraterritoriales (loi américaine FCPA, loi britannique UK Bribery Act, loi française Sapin II – pour ne citer que celles-là –) incitent les entreprises à bannir strictement les pots-de-vin et à prendre les mesures préventives adéquates.
Face à une telle exigence, que doivent faire les entreprises camerounaises ?
Les miniers camerounais ont intérêt à renforcer leurs programmes de conformité internes (code d’éthique, contrôles, formations). Ils doivent s’aligner sur des standards internationaux reconnus – par exemple adopter des référentiels ISO pour l’environnement ou l’anti-corruption, et suivre les bonnes pratiques de l’OCDE en matière de gouvernance d’entreprise. Concrètement, cela passe par plus de transparence dans leurs opérations, une meilleure gouvernance interne et l’intégration des risques ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans leur stratégie.
Et qui doit être impliqué dans la gouvernance du secteur minier ?
Il faut impliquer des parties prenantes, en particulier des communautés locales. Car, cette implication est un pilier de la bonne gouvernance minière. Il est crucial de mettre en place des mécanismes de participation dès le début des projets. Par exemple, les populations riveraines devraient être consultées lors des études d’impact environnemental et social afin que leurs préoccupations soient prises en compte. Historiquement, de nombreuses communautés au Cameroun ont dénoncé leur exclusion des décisions minières – n’étant ni informées ni consultées sur les activités extractives menées sur leurs terres.
Pour changer cela, les entreprises et autorités peuvent instaurer des comités de liaison locaux incluant des représentants des communautés, des collectivités territoriales et de la société civile. Ces comités permettraient de suivre l’exécution des plans environnementaux et des engagements de développement local, tout en assurant une transparence sur les impacts et les retombées économiques des projets. La société civile joue également un rôle d’intermédiaire important : au sein du processus ITIE, par exemple, des ONG et représentants locaux participent déjà à la surveillance du secteur.
Par ailleurs, il est indispensable de protéger ces acteurs contre toute intimidation ou représailles : le Cameroun doit garantir que les citoyens puissent s’exprimer librement sur la gouvernance minière sans subir de harcèlement ou toute forme de représailles. En impliquant activement les communautés et en communiquant de manière transparente, on renforce la confiance mutuelle, ce qui contribue à prévenir les conflits et à améliorer le respect des normes.
Quid des mécanismes de contrôle et de surveillance pour prévenir la corruption et les abus dans le secteur minier ?
Pour prévenir la corruption et les abus, il faut conjuguer des mécanismes nationaux et internationaux. Au Cameroun, le dispositif légal et institutionnel s’est renforcé : le Code minier (2016 puis 2023) prévoit des obligations de transparence (publication des titres, divulgation des paiements) et intègre des principes anti-corruption inspirés de normes internationales. La Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC) participe d’ailleurs à la supervision du secteur.
En parallèle, des contrôles administratifs (brigade minière, inspections) et des audits financiers sont menés pour détecter les irrégularités. Un élément clé reste la transparence des contrats et des flux financiers : la publication des contrats extractifs permet une surveillance accrue par la société civile et donne aux citoyens les moyens d’évaluer si les recettes tirées de leurs ressources sont équitables. Sur le plan international, les lois anti-corruption étrangères comme le FCPA américain ou le UK Bribery Act ont un effet dissuasif : les entreprises minières opérant au Cameroun savent que tout pot-de-vin les exposerait à des poursuites pénales et à de lourdes sanctions, même à l’étranger.
sources: leconomie.info